L'islam entre diabolisation et défiance

Par Thomas Sibille, auteur et fondateur des éditions Héritage.
Lois de la République ou Shari’a ?
Les slogans réducteurs et stigmatisants qui consistent à opposer lois de la République et celles qui n’en relèvent pas risquent de créer la confusion, d’amener des incompréhensions et de pousser les individus à se retrancher derrière des positions radicales et de rejet. Les musulmans ont toujours vécu avec respect dans les pays ou ils vivent, fidèles aux lois de leur religion et respectueux des lois du pays et lorsque celles-ci contredisent leurs principes, comme bien d’autres Français, ils les dénoncent. L’imam Ibn Badis (m. 1940) écrit à ce sujet :
« Les peuples diffèrent par leurs valeurs et leurs particularités comme les individus. Un peuple ne subsiste que pour autant que subsistent ses valeurs et ses particularités, tout comme c’est le cas pour les individus. La nationalité identitaire est l’ensemble de ces valeurs et de ces particularités. Et ces valeurs et ces particularités sont la langue, des convictions religieuses, sur lesquelles il fonde son existence, les souvenirs historiques sur lesquels il vit et à travers lesquels il regarde son avenir, et le sentiment qu’il partage avec ceux qui ont les mêmes valeurs et les mêmes particularités que lui. La nationalité politique, c’est qu’un peuple ait les mêmes droits civils, sociaux et politiques qu’un autre peuple et qu’il ait, avec l’autre peuple, les mêmes devoirs qu’ils contribuent ensemble à remplir, en vertu de circonstances et d’intérêts qui les lient. Et il est possible que se perpétue une union entre deux peuples qui n’ont pas la même nationalité identitaire s’ils font preuve d’équité et de loyauté dans la nationalité politique qui les lie, et qui a été imposée par les circonstances et instaurée par l’intérêt commun. »[1]
Ces slogans réducteurs visant à mettre en conflit ces deux lois ne sont en réalité que des slogans vides.
Démonstration par l’exemple
Quand des partis politiques dénoncent une loi adoptée par la gauche, sont-ils contre la République ? Quand, une fois au pouvoir, ils la remplacent par une autre, ceux qui auparavant l’appliquaient, étaient-ils les ennemis de la République ? Quand les catholiques manifestent contre la PMA ou le mariage pour tous, sont-ils contre la République ? Leur demande-t-on s’ils préfèrent l’Évangile ou le Code civil ? Lorsque les juifs se refusent de consommer de la viande de porc, qu’ils considèrent interdite, alors que la législation française l’autorise, sont-ils contre la République ? Lorsque les Vegan se refusent de consommer de la viande, alors que la législation française l’autorise, sont-ils contre la République ? Lorsque les catholiques refusent de recourir au divorce, parce qu’ils le considèrent interdit et déclarent que le mariage est un sacrement inviolable, sont-ils contre la République qui l’autorise ?
Les musulmans comme les autres citoyens s’adaptent aux règles de la vie en commun et tentent de s’y accommoder tant bien que mal, en fonction de ce que leur dicte leur conscience. Les Droits de l’Homme garantissent à tout citoyen cette liberté de conscience et d’action, « nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas » et « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». De plus, le droit de manifester et le droit de grève ne sont-ils pas des droits prouvant la permission de s’opposer à certaines décisions de la République ?
Dans un pays ou le Code civil a été influencé par la Shari’a, ne serait-il pas plus judicieux de faire, de ce sujet, un facteur d’union plutôt que de division ? Les Français de toutes confessions pourraient ainsi découvrir un héritage commun les liant à leurs concitoyens musulmans.
Les choses auraient-elles changé ?
On diabolise aujourd’hui des préceptes qui étaient vus, il y a encore peu, comme une solution aux problèmes de notre époque. Bernard Shaw (m. 1950) déclarait en effet :
« Si le Prophète Muhammad était encore en vie au 20e siècle, il aurait résolu les problèmes de notre temps en dégustant une tasse de café. »[2]
Un congrès national sur le droit comparé s’est même tenu en juillet 1951 à Paris. Les participants, à leur unanimité, qualifièrent la Shari’a d’adaptable à toutes les conjectures et à toutes les époques. Le congrès affirma que ce droit répondait à tous les besoins d’adaptation exigés par la vie moderne[3]. Il ne faut pas que le modèle français qui, dans ses principes, garantit l’égalité et la liberté deviennent comme Hakim El Karoui le définit : « un modèle d’assimilation, un modèle d’oppression de la majorité sur la minorité avec un discours universel a la sortie. »[4]
Des le café vendu ici, sitôt l’Alcoran le suivit
Aujourd’hui, on diabolise les signes apparents de l’islam que sont la prière, le jeune du Ramadan ou la barbe pour ne citer que les plus répandus. Cette diabolisation n’est pas moins ridicule que celle du café au 16e siècle.
En 1580, la menace d’une invasion de l’Angleterre par l’Espagne poussa la reine Élisabeth 1er à chercher à nouer une alliance avec les Ottomans ; elle écrivit au sultan Mourad et mit alors l’accent sur la concorde qui existait entre le protestantisme et l’islam, puisque, comme Mourad, elle rejetait l’idolâtrie papiste. Ce rapprochement permit à des Anglais de voyager vers l’empire ottoman. Nombre d’entre eux furent impressionnés par les richesses et la culture locales ; ils commencèrent à ramener certains produits locaux en Angleterre comme le café.
En 1652, le premier café ouvrit à Londres et rapidement la boisson devint populaire ; certains voyaient tout cela d’un mauvais œil. Un pamphlet anonyme voyait dans le succès du café un funeste signe des temps et prédisait la traduction prochaine du Coran. « Des le café vendu ici, sitôt l’Alcoran le suivit. »[5]
[1]Ahmida Mimouni, Ben Badis par lui-même, éditions Mimouni. [2] Abdelaziz Benabdellah, Le rationnel du sacré ou le vrai visage de l’islam, Maison d’Ennour. [3] Ibid. [4]Mohammed Sifaoui, Taqiya, l’Observatoire. [5]John Tolan, Mahomet l’européen, Albin Michel.
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