La lecture : pierre angulaire de la renaissance civilisationnelle islamique

Par le lecteur illettré, youtubeur et critique littéraire
Toute civilisation suit un cycle. Il y a un début, un âge d’or et un déclin. Nous parlerons, dans cet article, du lien qui existe entre le cycle civilisationnel islamique et celui des bibliothèques dans l’histoire musulmane. Ceci nous amènera à conclure sur l’importance de promouvoir la lecture dans la oumma. Pour Malek Bennabi[1] (m. 1973), l’homme musulman du déclin est celui de l’ère post-almohadienne (1121-1269). La oumma est donc en plein dans cette période de déclin. Rappelons que les terres musulmanes ont connu, tour à tour, l’invasion des Mongols à l’Est, la Reconquista à l’Ouest, pour finir plus récemment avec le colonialisme et le néocolonialisme. La fin de l’ère almohadienne est donc un point de rupture à la suite duquel l’homme musulman consitue l’archétype de l’homme du déclin.
Jamel El Hamri, dans son livre dédié à Bennabi et sa pensée[2], résume le cycle civilisationnel islamique selon Bennabi de la manière suivante :
« La civilisation musulmane est passée par trois phases :
1. La phase de l’âme : de la Révélation coranique (610) à la bataille de Siffin (657)
2. La phase de la raison : de la dynastie des Omeyyades (661) à la fin de la dynastie des Almohades (1269)
3. La phase des instincts primitifs : de la fin de la dynastie des Almohades (1269) au débarquement d’Alger (1830) »
Si on analyse le développement des bibliothèques, on se rend compte qu’il suit également un cycle. En effet, comme nous le dit Nurdin Laugu[3], depuis le début de l’ère islamique, les musulmans ont été encouragés par les Textes à apprendre et comprendre leur religion. Cela a donné lieu à une multitude de sciences qui ont été mises par écrit. Les sciences religieuses s’apprenant exclusivement à cette époque dans les mosquées, c’est précisément dans ces lieux que les premières bibliothèques ont été créées.
Les dirigeants musulmans ont par la suite, eux aussi, mis en place leurs propres bibliothèques.
L’évolution de l’apprentissage de la science a fait émerger de nouveaux lieux où ont pu s’implémenter des bibliothèques : d’abord les écoles - ou madrasa - comme la Nizamiyya (sous les Seldjoukides) ou encore la Moustansiriyya, mais également les bibliothèques privées des savants. Ibn Hazm (m. 1064), par exemple, avait une riche bibliothèque et avait l’habitude d’inviter d’autres savants à venir y étudier les livres qu’il possédait. Puis, l’émergence des universités islamiques a permis l’ouverture de bibliothèques dans ces hauts lieux de sciences.
De nombreux awqâf, sorte de legs pieux, furent des livres voire des bibliothèques, légués au bien commun par de riches personnages ou des savants bibliophiles.
Après avoir vécu cet âge d’or, que Nurdin Laugu place entre le 8e et la moitié du 13e siècle, la lecture et donc les bibliothèques ont connu un déclin. Au fil des ans, on a pu voir des autodafés être ordonnés par certains dirigeants contre telle ou telle doctrine déclarée hérétique, ou à cause de querelles politiques. Ce sont donc d’abord des causes internes qui ont provoqué le déclin des bibliothèques et des livres dans la oumma. A ces causes internes, nous pouvons ajouter la destruction de grandes quantités de livres et de bibliothèques par les Croisés, les Mongols et lors de la Reconquista, donc entre de 11e et le 15e siècle.
Tout comme pour le cycle civilisationnel, nous voyons que le déclin des bibliothèques n’est pas arrivé du jour au lendemain. On peut décomposer le phénomène en deux périodes : une lente période de déchéance suivie par un point de rupture à la suite duquel les bibliothèques ont complètement décliné.
Il est d’ailleurs important de noter que Bennabi et Laugu datent à la même période la phase de déclin des cycles qu’ils décrivent respectivement, c’est-à-dire à la moitié du 13e siècle. Il y a donc un lien clair entre le cycle de développement des bibliothèques et celui de la civilisation islamique.
Ceci nous amène au propos de cet article. Promouvoir la lecture dans la oumma n’a rien de secondaire. C’est même tout le contraire : il ne peut y avoir de renaissance de la civilisation islamique que s’il y a un fort regain du goût de la lecture et des livres. Malek Bennabi[4] n’a-t-il pas dit lui-même : « On est loin d’être la nation de la lecture, comment peut-on être alors celle de la renaissance ? »
Si l’on prend l’exemple de l’Andalousie, c’est l’amour des livres de quelques érudits qui, par un effet boule de neige, a permis de rehausser le niveau éducationnel des musulmans et d’éradiquer l’illettrisme. C’est donc pour cela qu’il est nécessaire de multiplier et de soutenir toute initiative visant à un retour de la oumma à la lecture. Notre rayonnement civilisationnel en dépend.
[1] Malek Bennabi, Vocation de l’islam, éd. Tawhid.
[2] Jamel El Hamri, Malek Bennabi : une vie au service d’une pensée, éd. Al Bouraq.
[3] Nurdin Laugu, Muslim Libraries in History, (article).
[4] Malek Bennabi, La crise du monde musulman.