Une ambassade marocaine à la cour de Louis XIV
Par Bilal Thomas Sibille (Éditeur de livres et auteur d’essais)

La France et le monde musulman n’ont cessé d’être liés par l’histoire comme en témoignent les deux siècles de présence musulmane en France quand les musulmans installés en Andalousie traversèrent les Pyrénées.
En nouant des alliances durables, ils firent de nombreuses régions françaises des terres d’islam et transmirent aux populations locales le goût pour les sciences ainsi qu’un héritage des plus riches.
Ils furent liés également à l’histoire de l’empire Ottoman avec la célèbre alliance entre Soliman le magnifique et François 1er, alliance qui fut sans cesse entretenue, déjà sous Louis XIV, quand il refusa d’aider les Autrichiens et même plus tard avec Napoléon qui le 27/11/1801 propose au sultan Selim III de rétablir cette antique et vieille amitié de plusieurs siècles, ce qui débouchera sur un traité signé le 25/06/1802.[1]
Ces riches échanges, nous en avons parlé assez longuement dans notre livre La place de l’islam en France, entre fantasmes et réalités. Aujourd’hui c’est sur une anecdote intéressante et méconnue que nous allons nous arrêter.
Le roi Jacques II d’Angleterre, alors réfugié en France depuis la révolution de 1688, vivait à Saint Germain-en-Laye, bénéficiant de l’hospitalité de Louis XIV.
L’empereur du Maroc Moulay Ismail lui écrivit une lettre, dont le but était de le convaincre d’embrasser l’islam.
Sa lettre est une véritable apologie de l’islam, ainsi qu’une réponse au christianisme, qui nous montre à quel point le sultan marocain était versé dans la théologie, maîtrisant les sciences du Coran et du hadith.
Il commença par exposer le dogme de l’unicité et réfuter la trinité, défendant la prophétie de Jésus et s’attaquant à la prétention des chrétiens selon laquelle il serait le fils de Dieu.
« Croyez moi, écrit Moulay Ismail, suivez cette religion qui est la religion de vérité. »
Il faut savoir que Jacques II avait embrassé le catholicisme, ce qui entraîna le rejet de son peuple qui, lui, était protestant.
Le sultan tenta de lui démontrer l’intérêt d’embrasser l’islam, qui est la religion de vérité alors que son choix de quitter le protestantisme, qui est la religion de son peuple pour le catholicisme, n’a aucun intérêt stratégique, ni mondain, ni religieux, puisqu’elle le condamne au rejet de son peuple ainsi qu’à la perte dans l’au delà.
Il continue son argumentation en lui comptant l’histoire de la conversion du Négus d’Abyssinie afin de lui montrer qu’avant lui d’autres rois avaient choisi l’islam. Puis il clôture sa lettre en lui proposant son aide pour aller renverser Guillaume d’Orange en Angleterre.
Moulay Ismail est surnommé jusqu’à aujourd’hui par les chercheurs européens le « grand et pieux sultan » mais ce qui est également marquant à son sujet, c’est son amour pour les femmes. Il épousa de nombreuses femmes, des soudanaises, des géorgiennes et des espagnoles. On lui prête quelque 500 concubines qui lui donnèrent près de 1 500 enfants.
Mais il ne s’arrêta pas là, il rêvait d’épouser une des filles de Louis XIV. C’est ainsi qu’il envoya une délégation « marocaine » en 1682 avec à sa tête Ben Aïssa chargé de demander en mariage la princesse de Conti, Marie-Anne de Bourbon. Louis XIV pour compenser son refus, lui offrit quatre horloges comtoises Pour finir, voici un extrait de la lettre de notre sultan illustrant sa sagacité. Il écrit :
« Un docteur chrétien réunit des juifs, des chrétiens et des musulmans, il demanda aux chrétiens : « quelle est la meilleure des trois religions » ? Ils dirent « celle des chrétiens » ; puis il demanda : « qu’elle est la meilleure entre la juive et la musulmane ? » Ils dirent « la musulmane ».
Il posa la même question aux juifs qui répondirent « la juive » et entre le christianisme et l’islam ? « l’islam ».
Il demanda aux musulmans qui répondirent « l’islam », il leur demanda : « et entre le christianisme et le judaïsme ? » Ils répondirent : "aucune des deux car la seule religion véritable est l’islam".
Par ce raisonnement le docteur chrétien admit que l’islam est la vérité car les juifs la reconnaissent comme meilleure que le christianisme, les chrétiens comme meilleure que le judaïsme et les musulmans ne reconnaissent qu’elle, jugeant fausse les deux autres.
Dieu dit dans la Coran « Et les Juifs disent : “Les chrétiens ne tiennent sur rien” ; et les chrétiens disent : “Les juifs ne tiennent sur rien”, alors qu’ils lisent le Livre ! De même ceux qui ne savent rien tiennent un langage semblable au leur. Allah jugera ce sur quoi ils s’opposent, au Jour de la Résurrection ».
Dans ces temps d’animosité, de défiance et d’instrumentalisation des peurs, nous avons grand besoin de nous souvenir de notre riche passé afin que les échanges et les débats qui animaient les plus grands, nous redonnent confiance et soient source d’inspiration et de dialogue.[2]
[1] Gerbert Rambaud, La France et l’islam au fil de l’histoire, éditions du Rocher
[2] Voir Henry de La Croix Castries, Moulay Ismaïl et Jacques II : une apologie de l’islam par un sultan du Maroc, Hachette Bnf, et Charles Penz Une ambassade marocaine à la cour de Louis XIV 1682, éditions Afrique Orient.