Lire et écrire : les piliers d'une oumma instruite

L’édition musulmane a évolué de manière spectaculaire ces dernières années. J’y suis entrée en tant que correctrice, il y a plus de 20 ans. À cette époque, les livres disponibles étaient presque toujours des livres de savants étrangers traduits en français. Nous y trouvions le Coran bien sûr, mais également des livres sur le dogme, les pratiques religieuses, les histoires des prophètes, ainsi que des recueils de hadith. Ces livres n’étaient pas particulièrement adaptés à un public francophone. Tout d’abord, en ce qui concerne la langue, il était clair que l’usage de la grammaire française n’était pas la priorité absolue de ces éditeurs. Ces éditeurs que nous devons saluer, car à une époque où l’Islam devait se donner à découvrir en France, nous pouvons comprendre que la priorité était le contenu du livre plus que sa forme. Malgré une bonne volonté évidente, les traductions étaient parfois approximatives, et l’étape de correction professionnelle était souvent contournée. Les tournures de phrases étaient au mieux, alambiquées, au pire, incompréhensibles.
Je me suis rapprochée de plusieurs maisons d’édition pour leur souligner ce point d’amélioration et elles ont été à l’écoute cherchant un moyen d’augmenter encore la qualité de leurs publications. Voyant ma volonté d’agir en ce sens et riche de mes années d’études de linguistique française, quelques-unes d’entre elles m’ont donné ma chance. C’est ainsi que je suis entrée en tant que correctrice pour des maisons d’édition.
Depuis une dizaine d'années maintenant, nous voyons fleurir de beaux livres islamiques pour lecteurs francophones, pour toutes les tranches d’âges, sur des thèmes variés, respectant diverses sensibilités. Les éditeurs ont à cœur de fournir des ouvrages de qualité et passent en général par des prestataires professionnels pour la correction, une mise en page professionnelle, la création d’une couverture attrayante et originale.
Tout cela n’est pas accessoire ; le livre est un objet de valeur. Il permet d’enrichir ses connaissances, de varier ses points de vue, de plonger dans des destins épiques ou de se rapprocher de notre Seigneur.
Et l’objet livre est de plus en plus soigné par les éditeurs. Le choix du papier ou la texture de la couverture ne sont pas des détails. Quand il s’agit de propager le bien, rien n’est un détail.
Pour parler de la littérature jeunesse, domaine que je connais bien par mes différentes activités bénévoles dans le domaine, nous constatons qu’elle s’est merveilleusement enrichie d’ouvrages pour les tout-petits, mais également d’ouvrages pour les lecteurs un peu plus âgés qui ne trouvaient que peu de lectures à leur goût. Les sujets abordés et le contexte des histoires sont bien plus proches de ces jeunes lecteurs francophones.
Et le profil des auteurs a changé. Auparavant réservée à une sorte d’élite, l’écriture se démocratise.
C’est pour cela que j’ai décidé d’accompagner des particuliers qui souhaitent écrire un livre : pour voir fleurir une belle diversité dans l’édition et prouver qu’écrire n’est pas inaccessible.
Selon mon point de vue — je comprendrais que l’on ne soit pas d’accord avec moi — l’édition islamique française souffre d’une double peine, d’un double frein.
Tout d’abord, en France, il y a cette croyance persistante : pour écrire, il faudrait être habité depuis la plus tendre enfance par un besoin irrépressible de coucher sur papier les mots qui nous hantent. Écrire serait réservé à des êtres élus qui évolueraient dans un cercle restreint.
Nous pensons également qu’il est nécessaire d’être adoubé par des gens qui savent, des gens qui ont du goût, et qu’il faudrait avoir « le niveau ».
Cela m’a toujours laissée perplexe. Et c’est encore une fois une vision française de l’écriture. Puisque l’écriture est censée nous habiter, devrait-elle être innée ?
Imagine-t-on Chateaubriand ou Voltaire prendre des cours d’écriture ? Jamais ! Pourtant, il ne choque personne qu’un grand peintre passe des années sur les bancs des beaux-arts à parfaire des techniques transmises par des maîtres. Aux États-Unis, il existe depuis longtemps des parcours universitaires réservés à l’écriture et à l’édition. De ces bancs ont émergé des auteurs à succès. Pas seulement parce qu’ils vendent beaucoup, mais aussi parce qu’ils écrivent bien.
Ensuite — et même si ce sujet est rarement abordé — malgré l’injonction Divine de « lire », la communauté musulmane lit peu. Ou alors, elle lit des livres « comme il faut ». Des livres qui ne nous font pas perdre notre temps.
Romans ? Poésie ? Témoignages ? Pour quoi faire, alors que nous devrions utiliser ce temps à apprendre notre religion !
J’ai reçu des témoignages terribles de personnes musulmanes rapportant que lorsqu’elles parlent de leur goût pour la lecture, on leur assène « qu’elles se prennent pour des blancs ». Cette phrase est une sentence terrible qui en dit long sur notre vision de la lecture qui serait réservée à des gens qui ont du temps à perdre. Dans certains foyers, les livres encombrent, prennent de la place, sont inutiles. Lire serait « pour les autres ».
Alors lorsque je suis quotidiennement contactée par des anonymes, de nouveaux auteurs, de nouvelles autrices, un peu apeurés voire complexés, qui veulent se lancer dans l’écriture ou enfin éditer le livre qui dort dans leur tiroir, je me fais un devoir de leur faire comprendre qu’ils ont entièrement leur place dans l’édition.
Qu’un livre soit édité ou non, qu’un livre soit un « succès » ou non, personne ne devrait s’empêcher d’écrire.
Je suis pleine d’espoir pour l’avenir de l’édition islamique, qu’elle soit accompagnée par des éditeurs vertueux qui ont saisi les enjeux de notre époque, ou qu’elle soit autoéditée.

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